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« Animal de bibliothèque »


A l’occasion du nouvel accrochage du Musée des Arts décoratifs, la bibliothèque vous propose le temps d’une visite de vous métamorphoser en « animal de bibliothèque ». Pour la pensée courante le concept d’animalité sert encore, avant tout, à définir un contre-modèle de l’humain. L’animal, tel que René Descartes le décrivait -être sans parole ni intention- était un corps sans âme , semblable à une machine. Seul l'homme avait une âme, radicalement différente du corps, tandis que les animaux n’étaient régis que par un principe mécanique

L’homme, un animal comme les autres

Nos animaux de bibliothèque nous mènent hors de ces sentiers battus, dans l’univers des formes où se rejoignent, chiens, singes, oiseaux, poissons, papillons, araignées et oursins…, pour dialoguer de siècle en siècle sur la condition humaine.
Animaux de fables, singeries du XVIIIe siècle , cauris ou oursin de Marie Ange Guilleminot, poulet de Thorsten Baensch, animaux de boucherie de J.-J. Ruillier ou trophées de Quentin Garel, sont autant de miroirs qui , avec humour et gravité, nous font traverser les siècles et sauter par dessus le mur des définitions
.



Livres de fables

La personnification des caractères humains par des animaux est le propre des Fables. « Puérilités [qui] servent d’enveloppe à des vérités importantes » comme les définit La Fontaine dans sa dédicace au Dauphin. Qu’elles soient de lui, d’Esope, ou d’autres, la bibliothèque en possède un large éventail.
La sélection débute par ce monument publié en 1755 que sont les Fables de La Fontaine illustrées par Jean-Baptiste Oudry. Et si les très célèbres éditions illustrées par Granville ou Gustave Doré manquent à l’appel, c’est pour laisser place à la diversité souvent méconnue de l’illustration de ces textes pourtant si familiers
A cet égard, le plus original reste le « Choix de fables de La Fontaine illustrées par un groupe des meilleurs artistes de Tokio » publié en pleine vogue du japonisme. L’anthropomorphisme spectaculaire de l’édition de Pellerin à Epinal et la simplicité quasi frustre des bois gravés de l’édition anglaise des fables d’Esope de 1809 élargissent ce panel
.

Les bestiaires pour enfants sages

Ces éditions contrastent avec l’académisme des dessins de Vimar , un des plus importants illustrateurs pour enfants de la 3e République, dont nous retrouvons la signature sur les petits livres à thèmes moraux du Bon Marché.
De la même manière, la série de chromos des Fables de La Fontaine, les grandes images joyeuses d’animaux habillés et les livres de cette époque sont destinés aux enfants sages. L’animal y joue un rôle prépondérant aux multiples facettes.
Faire rire : avec Le Roman de Renart, classique hérité du Moyen-Age, Les animaux en liberté de Benjamin Rabier aux mimiques plus humaines que nature, ou le jeune chien du White Puppy Book de Cecil Aldin., qui tient le journal, heure par heure d’une journée de péripéties.

Eduquer : avec les alphabets, où les animaux sont systématiquement déclinés lettre par lettre. Hiératiques dans l’arche de Noé de Walter Crane, ils retrouvent leur naturel sous le crayon de Rojan, l’illustrateur animalier attitré des éditions du Père Castor.
Faire rêver : avec les contes et les bestiaires ; du conte anglais aux précieux livres miniatures japonais, en passant par les Drôles de bêtes d’André Hellé
La beauté et la qualité de ces livres pour enfants sages sont telles que l’on sera toujours à se demander qui en sera le lecteur privilégié , des enfants ou de leurs parents…



Singeries et masques

Si le singe fut présent dès le Moyen-Age dans les marges des livres, c’est à la fin du 17e et au début du 18e siècle qu’il se travestit pour singer l’homme

Dans les arabesques d’Antoine Watteau, il est encore un singe déguisé, acteur élégant du décor raffiné de la Régence. Quelques années plus tard, dans les gravures d’après Christophe Huet, son agilité et son impertinence animent un corps presque humain dans des parodies légères des activités de la bonne société. Des deux séries du peintre animalier, la copie anglaise est symptomatique de la diffusion européenne de ces modèles.
La gravure du début du 17e siècle des singes vêtus de fraises, attributs de l’humain, rappelle l’origine flamande des singeries. Dans leur continuité, les proverbes moralistes interprétés par les singes de Nicolas Guérard donnent une vision acide des mœurs et des règles du jeu amoureux au début du 18e siècle.
Si les singes raillaient les comportements humains, les papillons de Charles-Germain de Saint Aubin, contemporain de Christophe Huet, incarnent la légèreté et la fragilité humaine avec infinie délicatesse et grande fantaisie. Cent ans plus tard, le très célèbre Grandville, dans sa Vie privée et publique des animaux, en les dotant d’esprit, les rend acteurs de la comédie sociale de l’époque romantique. Comment ne pas reconnaître George Sand sous les traits de la pie qui déclare « J’espère prouver un jour qu’entre les mains d’une Pie intelligente, une plume n’a pas moins de valeur que dans les griffes d’un Loup ou les pattes d’un Renard ».
A l’ inverse à la fin du 19e siècle, les gravures du Moniteur de la mode ou l’article sur le bal de la princesse de Sagan, nous offrent des hommes parés des atours d’ animaux soulignant la fantaisie débridée des travestissements des bals costumés de la Belle Epoque.


D’un siècle à l’autre

Dès le début de l’exposition des œuvres contemporaines nous rappellent la permanence du propos : planche d’anatomie du cheval du XIXème siècle, photographies du mouvement animal de Muybridge et livres de marionnettes répondent aux œuvres de Quentin Garel.Les animaux à écailles, à poils, à plumes, petites bêtes et animaux des profondeurs se confrontent aux formes étranges de Marie-Ange Guilleminot .
Et si les cages de Jean-Jacques Rullier ne peuvent contenir la poule de Iela et Enzo Mari, les minuscules grues de Danser ou mourir (édition origami) sont autant de versions de l’unique coup de pinceau d’Hokusai ; la toile d’araignée du magazine des fabricants de dentelle des années 1950 fait écho aux pliures du Vol blanc et le dessin des Cauris danse avec la méduse de Raoul Dufy.
Tandis que le cheval préhistorique de Ianna Andréadis pâture sur la page des Boucheries de Jean-Jacques Rullier, les livres de cuisine d’Antonin Carême et le Chicken de Thorsten Baensch se jouent de notre instinct carnivore.
Sur les murs… les animaux grimpent aux vases et ornent des panneaux décoratifs, des plats, des tissus et des lampes des 16e et 18e siècles

** Laure Haberschill **