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BUCAREST par Mihail Moldoveanu


Bibliothèque des Arts décoratifs 12 janvier – 6 février 2010


                         Ioanide. 20003. 
                        © Mihail Moldoveanu
Depuis ma tendre adolescence, j’ai une véritable passion pour cette ville, où je suis né. J’aimais m’y perdre, j’aimais son côté mystérieux. Lorsque j’étudiais les Beaux Arts, beaucoup de ces déambulations étaient des expéditions de travail. J’allais souvent avec un ou deux camarades. Parfois nous investissions quelque demeure abandonnée pour une période plus longue. J’aimais aussi m’y promener la nuit, l’imagination s’y trouvait encore plus à l’aise. Par la suite j’ai quitté Bucarest, pour toute une série de raisons qui n’avaient pas trait à ma grande passion pour la ville, restée intacte. J’ai fait des études d’architecture et d’histoire de l’art. 

Dans les années 90 j’ai commencé à revisiter Bucarest, en faisant des photographies, dans le but de témoigner de cette sensation si forte mais difficilement descriptible de la ville. Quand, au début des années 2000, il y eut la possibilité de concevoir un porte-folio et un livre sur le sujet, je me suis concentré sur deux story-boards compatibles mais distincts en contenu, de longs travellings comme des fils narratifs mettant en scène les diverses expressions de ce que je considère essentiel pour comprendre l’étrange fascination que peut exercer cette ville.

Ici il s’agit d’une ville qui dort ; pour une raison inconnue les habitants se sont retirés dans une sieste prolongée, semble-t-il, attirant ainsi l’aventurier dans une incursion indiscrète. Errer dans ces rues, surprendre ces constructions insouciantes, comme dans un rêve, profitant sans hésiter des moments d’inattention de la belle endormie. 

De façon « objective », on peut affirmer que la ville a des caractéristiques bien à part. Malgré une présence importante du néoclassicisme français fin 19e dans les bâtiments institutionnels, remplacé ultérieurement par une version roumaine d’Art nouveau et puis par d’autres styles en vogue dans le 20e siècle, ici l’intérêt ne réside pas dans les images de carte postale. Les monuments sont plutôt discrets et les Bucarestois ne font pas de prosélytisme, comme les Napolitains ou  les Viennois. Il faut s’éloigner un peu des grands axes pour tomber sous le charme de la gigantesque « ville-jardin » qui émerge de partout, avec sa végétation en état permanent d’insubordination, s’attaquant aux maisons, aux trottoirs, à l’asphalte.  

Cimitirul Bellu, le cimetière le plus important de la ville, est une expérience des plus belles qui soit, l’expression condensée de la plupart des choses que j’aime dans cette ville. Il y a là une variété et une inventivité qui semblent  infinies. L’amalgame des formes dépasse toute tentative d’inventaire. On y trouve de beaux monuments funéraires d’un style très « pur » - le 1900 roumain, ou encore l’arménien, ou  le liberty italien - mais dans la plupart des cas tout se mélange dans le bonheur le plus complet : colonnes byzantines, frontons néoclassiques, toitures coniques, fenêtres ogivales, décorations géométriques des plus inattendues,  lions en marbre, aigles en bronze, pyramides, anges avec les ailes brisées. Tout paraît témoigner d’une singulière inventivité.

Mon travail est un hommage à ce génie local, souvent anonyme.


Mihail Moldoveanu
Décembre 2009

Bucuresti, Porte-folio numéroté et signé, ex. n°35, 2004. Ré serve ART 55/2
Bucuresti, livre avec coffret numéroté et signé, ex. 272/350. Baudouin Lebon éditeur, Paris, 2004  Réserve ART 55/1. 
Collection Bibliothèque des Arts Décoratifs

                                                                               Frontons, 2001
                                                                              © Mihail Moldoveanu