Site De Libre Expression Artistique
Jules Maciet, Le vertige des images I
 L’année 2011 marque le centième anniversaire de la mort de Jules Maciet. Initiateur de Wikipedia avant l’heure pour certains, apparenté à Aby Warburg pour d’autres, Jules Maciet est avant tout celui qui a fondé l’identité de la bibliothèque des Arts Décoratifs. Sa passion de l’image alliée à celle de la transmission lui a permis de nous léguer une collection unique, à la fois support de recherche pour les historiens, source d’inspiration pour les créateurs et tremplin pour les artistes contemporains. Les manifestations qui jalonneront cette année alterneront regards d’historiens et regards d’artistes avec l’ambition de montrer les diverses facettes de cette œuvre.
Deux expositions prendront appui sur la publication de Jérôme Coignard « Le Vertige des images » et nous donneront l’occasion de dévoiler une infirme partie de la collection iconographique qui porte son nom. Deux autres seront des cartes blanches à deux artistes contemporains, Bernard Ollier et Matthew Bakkom, dont le travail sur la collection, la compilation et l’archive comme œuvre, font écho au projet utopique d’encyclopédie par l’image de Jules Maciet.
LE COLLECTIONNEUR PÉLICAN
                   Le nom de Jules Maciet est inconnu du grand public. L’homme, discret, l’a voulu ainsi. Il est pourtant l’un des grands donateurs des musées de France. Mais plutôt que d’amasser sa vie durant, pour donner en bloc à sa mort les œuvres patiemment collectées, pour, qui sait ?, la gloire d’avoir une salle portant son nom, il n’a cessé de distribuer au cours de son existence. Mieux, il a collectionné en fonction des lacunes de nos musées. En 1912, peu après sa mort, le musée des Arts décoratifs consacrait une exposition à ces dons disséminés à travers la France que l’éminent critique d’art Arsène Alexandre commenta ainsi : « C’est à la fois attendrissant, gai, mélancolique, invraisemblable, rationnel, délicieux. C’est l’exposition d’un homme autant que celle d’un ensemble d’objets. Mais d’un homme qui eut la passion de se couper en petits morceaux, pour nourrir les musées ». Alexandre forge l’expression « pélicanisme artistique » pour caractériser Maciet, en référence au pélican mythique qui nourrit ses petits de ses propres entrailles. Le musée du Louvre, le musée et la bibliothèque des Arts décoratifs mais aussi de nombreux musées de province, de Péronne à Dijon, de Lille à Aubusson, se sont enrichis d’œuvres significatives grâce à ce collectionneur pélican, chez qui meubles, tableaux et objets d’art ne faisaient que transiter.
Né à Paris en 1846, mort il y a cent ans, en 1911, Jules Maciet avait hérité de ses parents une solide fortune bourgeoise, un appartement rue Cambon et une confortable maison de campagne à Château-Thierry, ainsi qu’une bibliothèque de quelque 30 000 volumes. Mais l’origine de sa vocation artistique reste un mystère. Son cousin François Aman-Jean, fils du peintre symboliste, décrivait ainsi le cadre familial : « L’appartement est affreux, sombre et clos. Les murs sont tendus de faux cuirs de Cordoue, les fenêtres obstruées d’énormes rideaux de reps puce et caca d’oie. […] C’est une famille qui n’aime que la charité, les livres et les chiens, et qui vit béate et innocente dans un lieu laid. L’art est une porte close. » A douze ans, Jules manifesta le désir de visiter les monuments de Paris qu’il voyait en se rendant au lycée Louis-le-Grand. A quatorze, il connaissait le Louvre par cœur, grâce aux notes méthodiquement prises dans les différents départements du musée. Il poursuivit ses investigations dans les autres musées parisiens, à la Bibliothèque nationale. A dix-huit ans, il commença une petite collection, fréquenta l’hôtel Drouot, les antiquaires. Ses « dépenses artistiques » étaient soigneusement notées dans un carnet. Il en fut ainsi jusqu’en 1910. Il travailla quelques mois chez un commissaire priseur, puis chez Durand-Ruel, le futur marchand des impressionnistes. Mais cet homme n’était pas fait pour le commerce. Après la guerre de 1870 et le siège de Paris, qu’il vécut « de l’intérieur » en tant qu’engagé volontaire, il consacra l’essentiel de ses rentes à l’acquisition d’œuvres d’art pour les collections publiques. Sa « charité » à lui, ce fut cette philanthropie par l’art, dont la divulgation au plus grand nombre lui importait tant. Sa fortune n’étant pas illimitée, il identifiait en connaisseur ce qui risquait de ne pas déchaîner le feu des enchères, les trésors qui n’étaient pas encore à la mode ou commençaient à peine à l’être, comme l’art du XVIIIe siècle encore abordable. Son érudition, son exceptionnelle mémoire lui permettait en outre de compléter des séries, de combler les lacunes. Il était passé maître dans l’art de repérer le « chaînon manquant ». Ainsi, son œil infaillible identifia un panneau du maître de Moulins provenant d’un triptyque démantelé, dont le Louvre possédait le pendant. Il l’acheta pour 100 F en 1885 et en fit aussitôt don. Sa parfaite connaissance du marché de l’art européen lui permettait de débusquer aussitôt l’objet utile ou important pour telle institution. Au musée de Saint-Quentin, il enrichit tout naturellement la collection des œuvres de Quentin La Tour ; à Dijon, celle des Primitifs français et italiens ; au Louvre, il donna des sculptures allemandes, des Primitifs, des petits bronzes médiévaux ; à Carnavalet, des dessins du XVIIIe siècle concernant l’histoire de Paris ; à Château-Thierry tout ce qui se rapportait au plus illustre de ses enfants, Jean de La Fontaine ; au musée des Arts décoratifs, dont il accompagna le développement, il nourrit les collections d’art islamique et de tapis d’orient, puis de tapisseries médiévales. En trente ans, de 1880 à 1910, ses dons au musée des Arts décoratifs s’élevaient à plus de 2300, les dons aux autres musées à 1500…L’Union centrale des Arts décoratifs était devenue sa véritable famille d’adoption. Il finit par en assurer la vice-présidence. Membre du Conseil des musées et de diverses commissions, membre de la Société des Amis du Louvre dès sa création, il fut élu président de cette dernière en 1910 et favorisa l’acquisition pour le musée du Bain turc, chef d’œuvre d’Ingres. Dédaigneux des honneurs, Maciet ne reçut pas même une médaille pour son œuvre. Mais ne disait-il pas : « Je donnerais tous les rubans du monde pour un beau Corot » ?


*****Jérôme Coignard*****
CONTACT:  biblio@lesartsdecoratifs.fr
11 janvier au 11 mars 2011 de 10h à 18h du mardi au samedi entrée gratuite
Bibliothèque des Arts décoratifs
111, rue de rivoli 75001 Paris
www.bibliothequedesartsdecoratifs.com
tel: 01 44 55 59 36
fax: 01 44 55 59 89