Papiers de garde
dorés-gaufrés, dominotés et marbrés
du XVIIe siècle
à la période contemporaine
dans les collections de la bibliothèque
des Arts décoratifs
Les papiers de garde, destinés à protéger le contenu du livre, entre la couverture et le texte imprimé, sont devenus très tôt un art en soi qui reste encore très vivant aujourd’hui.
Objets de collection, ces papiers décorés furent conservés par des collectionneurs privés avant de figurer dans les collections publiques. Les fonds de la Bibliothèque des Arts décoratifs ont été enrichis depuis le XIXème siècle par de nombreux dons, Carnot, Maciet, Gruel, David-Weill entre autres, puis par des acquisitions auprès d’artistes.
L’exposition dévoile les trésors de cet art méconnu mais très prisé des créateurs contemporains dont la Bibliothèque possède une riche collection.
…
LA DOMINOTERIE
Cette appellation regroupe historiquement tous les papiers décorés (papiers à la colle, papiers dominotés et papiers dorés-gaufrés) à l'exception des papiers marbrés. Aujourd'hui, ce terme est employé uniquement pour les papiers estampés. L'étymologie du mot «domino» est incertaine.
Au XVlème siècle, il signifie « camail noir avec capuchon que les prêtres portent en hiver », il peut faire également référence à Dieu (Dominus : le Seigneur) que l'on représente fréquemment sur les images. Le terme dominotier apparaît également au XVIème siècle, c'est alors « un fabricant ou marchand d'images, de papiers décorés utilisés dans certains jeux ». En 1540, une ordonnance fixe le statut des dominotiers : ils peuvent fabriquer des images en tous genres, des papiers peints, des papiers de fantaisie, des cartes à jouer et des jeux de société. Après avoir été confinée dans un art mineur, la dominoterie connaît son apogée au XVIllème siècle lorsque les papiers dominotés sont utilisés pour couvrir les livres. |
Une dominotière Gravure de Martin Engelbrecht
Allemagne 18°siècle
© Suzanne Nagy |
LES PAPIERS A LA COLLE
Dans la fabrication du livre, ils sont souvent utilisés en couverture, soit en attente de la reliure de cuir, soit pour recouvrir les plaquettes, et plus rarement pour les gardes. La technique est simple : il s'agit de mélanger des couleurs à une colle de farine ou d’amidon, puis d'étendre le mélange sur la feuille de papier, à l'aide d'une grosse brosse. Les couleurs de base sont végétales ou minérales. Ces papiers connurent un grand succès en Allemagne et en Italie aux XVIIème et XVIllèmes siècles. Selon la méthode de préparation et d'exécution, les papiers à la colle présentent divers aspects: |
De episcoporum jurisdictione, Francisci Vargas, Romae, Aldi 1563
Reliure italienne du 18ème siècle, gardes en papier à la colle
© Suzanne Nagy |
|
|
|
|
|
|
|
|
Brossés |
Jaspés |
Tirés |
Granités |
Dessinés |
Coulés ste Anne |
Coulés
romantiques |
racinés |
LES PAPIERS DOMINOTES
Ce sont des papiers dont les motifs sont estampés, c'est à dire imprimés généralement à partir d'une planche de bois gravée. Ces papiers sont utilisés pour tapisser différents objets mais aussi pour orner les murs des habitations ou des boutiques. Cet usage, très longtemps réservé aux catégories modestes de la société, s'étend aux couches plus privilégiées. Cependant, les dominotiers ne savent pas s'adapter à cette nouvelle demande et ne résistent pas à la concurrence anglaise qui leur est fatale au milieu du XVIIIème siècle. En effet, les papiers anglais répondent mieux à l'attente d'une clientèle raffinée. La production des dominotiers français reste donc limitée dans le domaine de la décoration et les papiers français ne servent qu'à tapisser les chambres des domestiques et autres endroits modestes. Ce papier est le « tissu du pauvre».
La reliure devient alors un autre débouché pour les dominotiers. Les papiers marbrés coûtant fort cher, le papier dominoté est utilisé en couverture des livres ordinaires. Celui-ci est vendu à la feuille pour un prix dérisoire. Au XVIIIème siècle, ces papiers vont enchanter les relieurs. Ils sont rarement utilisés en pages de garde pour les reliures de cuir. |
Ordenliche Beschreibung des Christlichen hochlöblichen, Heinrichen Wirrich, Wienn : durch Blasium Eberum, 1571
© Suzanne Nagy |
Les motifs
Adaptés au format du livre, monochromes au début, les motifs sont ensuite rehaussés de couleur à la main ou au pochoir. Au début du XVIIème siècle, la mode des motifs orientaux modifie la décoration. Aux motifs géométriques succèdent ramages, fruits, fleurs..
La couleur s'enrichit grâce à la superposition des bois et permet la réalisation de papiers plus chatoyants. La mode des chinoiseries et l'influence japonaise conduit à une certaine abstraction et les motifs géométriques reviennent comme à l'origine. A partir de 1800, les papiers dominotés sont de moins bonne qualité. |
|
Motif géométrique |
|
Motif floral |
|
Les techniques
La gravure sur bois: Le bois (fruitier très sec) est gravé en «taille d'épargne»: les traits sont laissés en relief, les parties destinées à rester en blanc sont évidées à l’aide de gouges . L'artisan travaille sur un « bois de fil « ( taillé dans le sens longitudinal de l'arbre).Le bois ainsi gravé peut servir à reproduire des centaines d'exemplaires.
L'impression: La technique la plus ancienne est faite au frotton, tampon rempli de crins de cheval pétris de colle forte et fermé par un lien. La planche est fixée, côté gravé, sur la table de l'atelier. Le dominotier trempe dans un premier temps une grosse brosse à soies molles ou un tampon de cuir dans la couleur noire (mélange de noir de fumée et de colle). Puis il imprègne toute la surface du bois et y applique ensuite la feuille de papier légèrement humide: il la presse fortement avec le frotton et l'impression est faite. Au XVIII ème siècle, on utilise un maillet de bois: la feuille de papier est posée sur un molleton, vient ensuite le bois encré, face gravée dessous. Un coup de maillet suffit alors à réaliser l'impression. Cependant, il arrive que le bois se déplace sous le choc et se fragilise. On imagine de le remplacer par un levier de bois actionné au pied, puis on utilise un bois gravé pour chaque couleur. Les bois se transmettent d'une génération à l'autre. Certains dominotiers les signent, ce qui permet de retrouver les noms de certains ateliers.
Le papier: C’est un matériau coûteux dont la production est alors irrégulière car elle dépend du ramassage, par les colporteurs, des chiffons de lin, de chanvre et de coton, nécessaires à sa fabrication.
LES PAPIERS DORES-GAUFRES
Ils apparaissent en Allemagne à la fin du XVIlème siècle. et s'imposent à Augsbourg qui devient le centre de leur fabrication. Ils sont issus directement de la technique d'impression des étoffes -qu’ils imitent- à la plaque de cuivre ou à la planche de bois. Il en existe de deux sortes:
les Bronzefirnis (vernis au bronze): papiers dorés, unis, ne présentant aucun relief; les Goldfirnis (vernis à l'or) ou Brokatpapiere: papiers dorés présentant un certain relief. Les motifs de ces papiers sont complexes car ils respectent le goût et la tradition baroque: avec quelques années de retard on copie les motifs des tissus qui les ont inspirés: fleurs, feuilles d'acanthe, fruits, scènes de la vie quotidienne, scènes de chasse, scènes bibliques, chinoiseries…. Les bilderbogen (planches d'images) qui représentent les animaux, l'alphabet ou les saints sont imprimées de la même façon. Ils étaient destinés aux enfants qui les découpaient. |
Histoire de Louis le Grand, 1706
© Suzanne Nagy |
Les techniques
Elle est assez complexe: le burin est utilisé pour inciser la plaque de cuivre assez profondément pour que l'impression soit nette. La feuille métallique, faite d'un alliage de cuivre, d'étain, de zinc et de fonte doit être fine mais solide. Pour l’impression, la plaque de cuivre est légèrement chauffée, puis introduite dans une presse à cylindres. La feuille métallique, préalablement appliquée sur le papier est ensuite fortement pressée. Grâce à la chaleur, la feuille dorée s'applique sur le papier blanc, la fixant aux contours du dessin. Les résidus de métal sont balayés. Le dessin apparaît en blanc, il se découpe avec une grande précision et un léger relief sur fond doré apparaît. Pour accentuer l'effet de brillance, ces papiers sont polis avec une pierre dure ou un morceau de verre. Ces papiers servent surtout à la décoration des livres. On les retrouve souvent en couverture de petits almanachs et opuscules divers, en gardes dans les psautiers et livres d’heure mais aussi dans des reliures somptueuses.
LES PAPIERS MARBRÉS
Nés au XIlème siècle en Extrême-Orient, sous le nom de Suminagashi (Sumi : encre et Nagashi : qui flotte sur l'eau en mouvement), les papiers marbrés apparaissent en Occident à la fin du XVlème siècle. La technique consiste à faire flotter l'encre sur de l'eau puis à déposer sur la surface de l’eau une feuille de papier sur laquelle l’encre se fixe. A l'origine, les papiers marbrés servent de support à la calligraphie, une partie de la page est marbrée, l'autre est réservée à l'écriture. Plus tard le dessin recouvre toute la page et sert de fond à la calligraphie.
Hersono Yadogae
Tokyo 1882
© Suzanne Nagy |
L'un des premiers Occidentaux à mentionner les papiers marbrés est Pierre de l'Estoile en 1608. Cependant, l'exemple le plus ancien d'emploi du papier marbré en Occident se trouve dans le Recueil des Oeuvres poétiques d'Henry d'Angoulème en 1586. Les feuilles de l'album sont marbrées sur les deux faces. Autre exemple d'utilisation des papiers marbrés, les « livres d'amis » ou « album amicorum » qui circulent en Europe dès la fin du XVlème siècle. La mode vient d'Allemagne. Les voyageurs l'utilisent pour recueillir les signatures de leurs amis et noter leurs impressions de voyage, les grandes familles y insèrent les principaux évènements familiaux.
Lorsque le papier marbré arrive en Europe, le livre connaît un essor considérable et c'est dans le domaine de la reliure qu'il va s'imposer. L'Allemagne fait figure de pionnière dans ce domaine avec ses «album amicorum». En France, réservé dans un premier temps aux reliures princières le papier marbré va rapidement s'imposer dans des collections plus modestes. Au début du XVIIème siècle, il est collé uniquement sur le contre-plat du livre, puis, à partir de 1661-1680, on utilise le même papier pour les contre-plats et les gardes. Des dynasties de relieurs ont contribué à cet âge d'or du papier marbré, tels les Le Breton que cite l'Encyclopédie.
Avec la Révolution Française, la crise sociale et économique touche de plein fouet la reliure, la fabrication de peaux et la production de papiers marbrés. Les relieurs cherchant des solutions plus économiques, ils généralisent les demi/reliures dont le dos est en cuir et les plats décorés d’un simple papier à la colle
Au début du 19ème siècle, de nouvelles couleurs apparaissent et de nouveaux motifs sont crées : Œil de Chat, Scrotel, Ombré...
A partir de 1850, la mode du pastiche entraîne un retour aux modèles traditionnels mais ils sont réalisés sur des papiers glacés. |
Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des Arts et des Métiers, Paris 1751
© Suzanne Nagy
|
Musée royal de Naples César Famin, Paris, A. Ledoux, 1836
© Suzanne Nagy
|
|
|
|
Œil de Chat |
Scrotel |
Ombré |
|
LES PAPIERS DE GARDE AUJOURD’HUI
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont vu l’apogée du papier marbré avec la création en Europe de plusieurs manufactures. On y réactualise des motifs classiques. Apparaissent le papier flammé et le maître-relieur qui vont se répandre pendant toute la première moitié du XXe siècle.
Il faut attendre les années 1970 pour voir renaître le goût des papiers marbrés.
Si certains marbreurs comme Michel Duval reproduisent des modèles classiques, une nouvelle génération de marbreurs avec Claude Delpierre, puis dans sa suite Françoise Comacle, Marie-Ange Doizy, Marianne Peter, Marianne Hamaide se réapproprient les techniques ancestrales pour réaliser des papiers originaux et riches de fantaisies dans les couleurs et les motifs : Le double passage apparaît et rencontre un vif succès : il consiste à additionner sur une feuille plusieurs passages de marbrure, donnant aux motifs une profondeur inégalée.
Outre la technique de la marbrure, les papiers dominotés comme les papiers à la colle inspirent les créateurs. Depuis les années 1980, Claude Braun grave des plaques de bois, de carton, de linoléum, de plexiglas pour imprimer des feuilles d’une grande élégance.
En parallèle, de nouvelles techniques sont expérimentées comme le monotype, l’utilisation de rouleaux et d’encres d’imprimeries, ou encore les techniques de réserve pratiqués par Catherine Reboul-Berlioz, Florent Rousseau ou Florence Cappar-Boré.
Marie Madec, depuis quelques années réalise des papiers à la colle aux motifs très diversifiés qui rencontrent un grand succès.
Aujourd’hui, une vingtaine de marbreurs, en majorité des femmes, travaillent avec des relieurs, amateurs ou professionnels. Chacun se reconnaît à son style très personnel et la plupart signent leurs feuilles au verso.
|
|
|
|
|
|
Maitre relieur |
Claude Delpierre |
Marianne Peter |
Claude Braun |
Catherine
Reboul- Berlioz |
Marie Madec |
***Cécile Huguet ***
|