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« L’âge d’or de la reliure d’éditeur au 19ème siècle » « En décor, la reliure industrielle, qui s’adresse à la foule est condamnée à crier plus fort et à tirer l’œil ; elle a des obligations de richesses dans les prix doux, de clinquant sur percaline et de prodigalité de faux or et de couleurs : au besoin il lui faut être sardanapalesque sur des cartonnages de 40 centimes. » Henri Béraldi. La reliure du XIXe siècle. Paris, Librairie Conquet, 1895-1897 Henri Béraldi, collectionneur, bibliophile et auteur d’importants répertoires de graveurs et d’un ouvrage de référence sur la reliure au 19e siècle, met en lumière en quelques lignes seulement et ce dès 1895 les principales caractéristiques de la reliure industrielle. Apparue dès la Restauration, c’est après 1840 qu’elle connaît un incroyable essor répondant à une demande croissante de livres, liée à l’instauration de la loi Guizot en 1833 imposant à toute commune de plus de 500 habitants l’ouverture d’une école pour garçons et à celle de plus de 800 habitants une école pour filles et de la loi Falloux de 1850 libéralisant l’enseignement en permettant à tout particulier ou fondation religieuse d’ouvrir des écoles et des collèges favorisant de fait l’enseignement confessionnel. Les besoins en livres se multipliant, la production se diversifia et se déclina dès lors en livres religieux, livres de fêtes, livres d’étrennes, livres scolaires et surtout livres de prix. Réalisés à faible coût ils devaient néanmoins présenter tous les attrais esthétiques des reliures précieuses. Morale chrétienne, noblesse d’âme, histoire de France, progrès technologiques trouvèrent toute leur place dans ces ouvrages dont les enfants étaient les principaux destinataires. Techniquement, la reliure industrielle s’apparente à la reliure « à la Bradel » inventée au 18ème siècle, qui à la différence d’une reliure classique faisant corps avec l’ensemble du livre, se présente sous la forme d’un cartonnage collé aux pages de garde. Il était utilisé comme reliure d’attente par les libraires, voué à être remplacé par les acheteurs désireux d’offrir à leur ouvrage une vraie reliure. Pendant la Révolution, les restrictions entraînèrent la généralisation de l’utilisation pérenne des cartonnages, ce phénomène s’accentua sous la Restauration, les cartonnages étant parfaitement adaptés aux progrès de la mécanisation. Editées en milliers d’exemplaires, destinés au plus grand nombre, les reliures d’éditeurs furent longtemps négligées, détériorées et même jetées. Leur fragilité explique que peu d’exemplaires nous soient parvenus dans un très bon état de conservation et qu’ils soient désormais considérés comme de petits trésors ornés d’or, d’argent ou de couleurs vives dignes d’être collectionnés par les bibliophiles. La bibliothèque des Arts décoratifs présente plus de 80 volumes sélectionnés parmi les plus belles reliures d’éditeurs qu’elle possède dans ses collections. Des petits volumes aux grands formats, on découvre l’étonnante évolution du décor de ces reliures au travers la production française et étrangère qui firent le renom d’éditeurs comme Mame, Mégard, Hachette, Hetzel… Publiés de 1840 à 1860, ils se déclinent sous trois formes qui se succédèrent et parfois cohabitèrent. En premier, les cartonnages dits lithographiés qui présentent le plus souvent un décor polychrome. Suivent les cartonnages dits gaufrés au décor en relief doré ou argenté sur fond marine ou clair, qui s’enrichirent après les années 1845 d’un médaillon orné de motifs animaliers ou végétaux… Enfin viennent les cartonnages dits « à médaillon », les plus nombreux. Ils se distinguent par la présence d’une chromolithographie insérée au centre de la couverture, dont le décor et le sujet n’avaient pas forcément de rapport avec le titre ou le sujet du livre. Les collections les plus connues étaient « Bibliothèque des écoles chrétiennes », « Bibliothèque de la jeunesse chrétienne », « Bibliothèque religieuse, morale, littéraire pour l’enfance et la jeunesse ». Il n’est pas rare de trouver collé dans ses volumes un ex-praemio petite étiquette imprimée indiquant que l’ouvrage a été offert en récompense à un élève dont le nom est manuscrit. Beaucoup d’ateliers produisant ces petits volumes étaient installés en province : Mégard à Rouen, Lefort à Lille… mais surtout Mame à Tours dont l’atelier, considéré comme le plus grand en France et en Europe, regroupait en 1855 environ 1200 ouvriers pour une production de 15 000 volumes par jour. Ces plaques, dont le décor souvent de type architectural pouvait être d’une très grande finesse, étaient gravées par des graveurs spécialisés dont un des plus célèbres fut Haaraus, auteur de celle du Voyageur de la jeunesse. Elles étaient soit conçues pour une série de livres, le titre étant alors amovible, soit pour un titre particulier, dont elles illustraient le sujet. Les plus jolies, appelées reliures mosaïquées étaient agrémentées de papiers de couleur collés sur la percaline avant l’application de la plaque dorée, qui sertissait sur le fond sombre des couvertures ces ornements aux couleurs de pierres précieuses. Le prix élevé de la fabrication de la plaque était largement compensé par le nombre d’exemplaires vendus puisque les percalines constituèrent la grande majorité des livres de prix. L’utilisation de ce type de cartonnage prit fin au début des années 1860. Les reliures chromolithographiées et dorées Quelques très belles reliures recouvrent néanmoins des livres particulièrement prestigieux, comme Les Contes de Perrault publiés par Hetzel au somptueux décor de dentelle doré sur fond rouge inspiré des reliures du 17e siècle. A partir des années 1880, la couleur arrive de façon spectaculaire dans les reliures d’éditeurs, pour trouver son apogée entre 1890 et 1914, lors de la Belle Epoque. Ce fut alors la vogue des reliures en toile de couleur vive, bleu, vert, blanc et surtout rouge comme les plus célèbres, celles des Voyages extraordinaires de Jules Verne publiés par Hetzel, auxquelles tout le monde pense quand on évoque les reliures d’éditeurs du 19e siècle. Elles sont toutes ornées de magnifiques illustrations en chromolithographie aux couleurs éclatantes rehaussées d’or ou d’argent. Parmi celles conservées à la bibliothèque, l’une des plus connues est sûrement la reliure de La Vie électrique de Robida et la plus impressionnante celle du Raven d’Edgar Poe publié à New York par Harper & Brother en 1884. Hachette et la Bibliothèque rose S’inspirant du modèle anglais initié par W.H. Smith qui eu l’idée d’installer des librairies dans les gares anglaises et profitant du développement du réseau ferroviaire français, Louis Hachette crée dès 1852 des « bibliothèques de gare » (ancêtres des relais H actuels) et commercialise la collection « Bibliothèque des chemins de fer », celle-ci se décline en sept séries : la rouge est consacrée aux guides de voyageurs, la verte traite de l’histoire et des voyages, la crème est dédiée à la littérature française, la jaune à la littérature ancienne ou étrangère, la bleue à l’agriculture et l’industrie, la rose aux enfants et la saumon aux ouvrages divers.C’est la sixième série rose qui donna naissance en 1856 à la « Bibliothèque rose illustrée » qui était publiée alors en deux tirages, l’un courant en papier, l’autre plus prestigieux et plus cher en percaline rouge surmontée d’un décor classique doré, reliure qui perdura jusqu’au milieu du 20ème siècle. Lors du lancement de la bibliothèque des chemins de fer, Louis Hachette eut le souci de combler une lacune en matière de littérature jeunesse dans l’édition française. La Bibliothèque rose connut un essor particulier après la publication des ouvrages de la Comtesse de Ségur que Louis Hachette rencontra par l’intermédiaire de son mari alors président des Chemins de fer de l'Est. Elle devint l’un des auteurs phares de la collection et c’est à travers deux de ses titres « Nouveaux contes de fées pour petits enfants » publié en 1857 et « Le général Dourakine » publié vers 1910 que la bibliothèque présente l’évolution de la série rose en bibliothèque rose illustrée désormais connue de tous. La collection de livres pour enfants de la bibliothèque des Arts décoratifs comporte de nombreux livres édités au tournant du 19e et 20e siècle en France et en Angleterre. Que ce soit des livres de contes ou à sujet historique, des livres mettant en scène des enfants ou des animaux, c’est toute la palette des plus grands illustrateurs de l’époque qui est représentée. On y reconnaît la délicatesse des dessins de Bernard Boutet de Monvel et de Kate Greenaway, la force de ceux de Job, la fantaisie des animaux de Benjamin Rabier et l’Alsace de Hansi. Leurs illustrations ne se contentant pas d’orner les pages des ouvrages éclatent de couleurs sur les couvertures. Reliure d’éditeur et japonisme L’apogée de la reliure d’éditeur coïncide avec la vague du japonisme en Europe. Il n’est donc pas étonnant que la bibliothèque des Arts décoratifs conserve des livres sur le Japon et ses arts, édités en France, Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, aux très belles reliures d’inspiration japonaise.Si les reliures anglaises de Fans of Japan et de Japanese homes and their surrondings ont des compositions graphiques sur fond foncé particulièrement frappantes, la reliure des Promenades japonaises d’Emile Guimet est un bel exemple de reliure polychrome à fond rouge publiée par l’éditeur Charpentier. Elle a été dessinée par Auguste Souze, un des plus prolifiques créateurs de couvertures de l’époque, tout comme celle de la Céramique japonaise de Audsley Bowes, publié par Firmin Didot en 1881. L’illustration de cette dernière reliure est remarquable car elle se développe sur l’ensemble de la couverture en reprenant plusieurs thèmes caractéristiques de l’art japonais : la branche de cerisier qui compose le motif principal, le soleil couchant et la grue du dos, la description détaillé de la faune et de la végétation… Le titre est écrit sur un étendard auquel est suspendu un vase, rappelant le sujet du livre. La collection de reliures industrielles de la Bibliothèque des Arts décoratifs compte aussi des ouvrages sur les arts décoratifs, l’histoire de l’Art, les techniques, les voyages…, de beaux catalogues de Salons, d’Expositions universelles et des revues. Pour conclure ce large panorama de l’évolution de la reliure d’éditeur au 19e siècle, nous laissons de nouveau la parole à Henri Béraldi : « C’est une production immense, que nous ne regardons pas, parce que nous vivons au milieu d’elle. Ou plutôt nous la regardons sans la voir, négligemment, à l’époque des étrennes, un peu fatigués de son abondance, et oubliant que c’est nous qui devrions avoir l’œil assez artiste et assez critique pour rechercher aujourd’hui avec plaisir, au milieu du médiocre, les morceaux intéressants – et qui sûrement seront remarqués par nos successeurs, lorsque le temps aura passé dans un alambic cette incalculable production, pour en distiller la quintessence » Henri Béraldi, La reliure au XIXe siècle, Paris, Librairie Conquet, 1895-1897 **Lysianne Allinieu - Laure Haberschill ** |
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