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credit photos: • Suzanne Nagy

Les livres pour enfants pendant la Grande Guerre
dans les collections de la bibliothèque des Arts Décoratifs


Dans le cadre des manifestations commémorant le centenaire du début de la 1ère guerre mondiale, la bibliothèque des Arts décoratifs souhaite faire découvrir au public un fonds original de livres pour enfants entré dans ses collections à la suite de l’exposition des jouets artistiques organisée en novembre 1916 par l’Union centrale des Arts Décoratifs François Carnot, alors président de l’institution et fondateur d’un atelier de mutilés de guerre produisant des jouets, souhaitait de cette façon soutenir les autres établissements de ce type ainsi que les fabricants et encourager leur créativité en l’absence de concurrence allemande. Deux expositions furent organisées en 1916, la première en mai et la deuxième en novembre, laquelle présentait, à côté des jouets, des livres pour enfants et de l’imagerie de guerre. 102 livres français et 79 anglais, sélectionnés et envoyés par le Victoria and Albert Museum, furent prêtés pour l’occasion par 18 éditeurs. A l’issue de l’exposition, une sélection de 54 livres fut intégrée aux collections de la bibliothèque. Cet ensemble singulier de par sa provenance, donne un aperçu de l’édition enfantine en France et en Angleterre à ce moment capital que fut la première guerre mondiale.

Le livre pour enfant et la guerre

En France au 19e siècle, l’histoire de l’édition des livres pour enfants est liée à l’institution de l’enseignement obligatoire. Les albums illustrés entraient souvent dans la vie des enfants par le biais du prix scolaire. Ces livres participaient alors au programme d’instruction morale de l’école et devaient offrir des exemples à leurs lecteurs.
Dès le Second Empire, les thèmes militaires et guerriers figurent dans la littérature de jeunesse. Avec la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace Lorraine, leur usage se développe pour soutenir la fibre patriotique des petits français et devient paroxystique pendant la Grande Guerre.
La Troisième République glorifia les grands héros nationaux par de magnifiques livres illustrés, publiés à destination d’un public adolescent. Avec l’apparition de nouveaux procédés d’impression, dérivés de la chromolithographie, l’illustration prend une nouvelle dimension à côté du texte. Les grands hommes politiques comme Henri IV et Richelieu sont mis en scène dans des histoires magnifiquement mises en image par de grands spécialistes du costume ancien, tel Maurice Leloir.
Jeanne d’Arc, l’idole autour de laquelle se fait l’unité nationale, est présente dans cette sélection dans deux livres aux styles très différents. Le style académique d’Octave Guillonnet à la couverture très sulpicienne s’oppose à l’élégance des dessins de l’album de Maurice Boutet de Monvel, dans lequel l’héroïne arbore les traits adolescents de ses lecteurs.
Les héros les plus emblématiques sont cependant les grands guerriers révolutionnaires, Murat, et surtout Bonaparte, immortalisés par Job, le dessinateur fasciné par la peinture d’histoire et passionné par les uniformes qui ressuscita dans les très nombreux albums qu’il illustra les grandes heures de l’histoire de France.
Pendant la Grande Guerre, la littérature enfantine participe à la propagande nationale en utilisant des objets particuliers au monde de l’enfance. Figurent en premier lieu les alphabets, par lesquels les enfants apprennent l’ordre en découvrant les lettres, les mots et la lecture.
L’Alphabet de la grande guerre pour les enfants de nos soldats d’André Hellé prend la forme d’un beau livre cartonné aux illustrations graphiques, qui pouvait aussi plaire aux parents, voire aux collectionneurs, l ‘Alphabet de la guerre de L. Lanos, avec son papier de mauvaise qualité et ses images naturalistes, est destiné à un public plus populaire, l’A.B.C. des Petits soldats de Niké met en scène des soldats-enfants. Cette invasion de la guerre dans le monde de l’enfance,- y compris dans ses aspects les plus violents- se révèle à travers L’histoire d’un brave petit soldat et La veillée des petits soldats de plomb où des jouets font la guerre. Ces livres montrent la façon dont les enfants fantasmaient les combats auxquels participaient leurs pères.
La perte de l’Alsace-Lorraine fut la grande blessure laissée par la défaite de 1870. En témoignent les nombreux livres ayant pour thème le retour de ces régions à la France publiés pendant la Grande Guerre. Les plus célèbres furent ceux de l’alsacien Hansi. Dans ses ouvrages, comme Mon village, Hansi s’inspire de la culture populaire et des motifs alsaciens, pour créer une imagerie plus fantasmatique que réaliste. Celle-ci devint pourtant emblématique de l’Alsace. Il privilégiait le rouge et le noir, couleurs principales du costume alsacien. Elles sont presque les seules utilisées dans les illustrations de L’Histoire de deux petits alsaciens pendant la guerre de Nett et Lisbeth, tandis que La petite fille de Thann reprend tous les éléments caractéristiques de l’Alsace.
Aucun livre relevant du thème de la guerre n’est présent dans la sélection anglaise. Est-ce le fait du choix du V&A ou la réalité de l’édition en Angleterre?


Un éventail varié de la représentation animale dans la littérature enfantine

L’animal est présent dans la littérature enfantine tout d’abord dans des textes classiques. Le premier d’entre eux est Le Roman de Renart, dont Delagrave publie en 1911 une version illustrée par Joseph Pinchon, le créateur de Bécassine.
Le second et le plus célèbre est Les Fables de La Fontaine. La plupart des grands dessinateurs de l’époque le mirent en images. Maurice Boutet de Monvel composa une mise en page originale, sous forme de saynètes se succédant, donnant au texte un rythme de bande dessinée.
L’animal est aussi très présent dans les livres humoristiques. À la fin 19e siècle, le principal dessinateur de livres animaliers pour enfants est Auguste Vimar, dont les ouvrages tels Le dernier des lions sont drôles et optimistes. Il influença Benjamin Rabier dans la création de son propre genre animalier
. Caricaturiste de formation, Benjamin Rabier fut le peintre officiel de la basse-cour. Il illustra les textes des autres, tels Buffon et La Fontaine et publia ses propres livres comme Scènes de la vie privée des animaux ou Les animaux en liberté. Dans son univers, les animaux pouvaient être plus expressifs que les humains, et posaient sur ces derniers un regard critique sans jamais les singer.
En Angleterre en ce début du 20e siècle Beatrix Potter invente dans Peter Rabbit une nouvelle façon de mettre en scène les animaux dans la littérature enfantine. Des animaux-enfants y portent les mêmes vêtements que leurs lecteurs et vivent dans un environnement similaire au leur. Si aucun de ses livres prêtés par F. Warne pour l’exposition de 1916 n’est entré dans les collections de la bibliothèque, le Cecil Aldin’s merry party se place dans son sillage en représentant des animaux familiers prenant le thé ou batifolant en costume de bain. Les deux autres livres anglais animaliers de cette sélection sont également caractéristiques de la production éditoriale britannique. White ear and Peter par le réalisme de son histoire et Johnny Crow’s party car c’est une comptine, un nursery rhyme Drôles de bêtes, publié en 1911 par Tolmer est le deuxième livre d’André Hellé présenté dans cette exposition. Il met en scène les animaux-jouets en bois de l’arche de Noé que ce dernier vient de créer pour Les grands magasins du Printemps.
Cet ouvrage somptueux, imprimé sur papier gris, d’un format exceptionnel et illustré d’images colorées au pochoir est un des premiers livres bibliophiliques pour enfants. Alors que l’édition pour enfant connaît une crise au tournant du 19e et du 20e siècles, se produit l’émergence de ce nouveau type de production, à laquelle appartiennent aussi Mon village de Hansi, qui eut une édition numérotée, et les livres de Maurice Boutet de Monvel

Les contes, comptines, berceuses et autres chansons…

Cette exposition présente un panorama varié de livres de contes, en majorité anglais. Durant cette période de guerre, les éditeurs des deux côtés de la Manche publient des grands classiques de la littérature enfantine et proposent aux enfants des images qui les feront rêver. Les contes de fées prédominent, et côtoient les versions du Petit Chaperon Rouge et de Boucle d’or à la mise en page originale de Willy Pogany. L’univers des princes, des princesses et des fées est presque à portée de main.
Des illustrateurs en vogue au début du 20e siècle, comme Maurice Lalau, se sont penchés sur ces grands classiques. Avec la collaboration Charles-Robert Dumas, il renouvelle le genre. En s’inspirant de la tradition française, ils inventent des histoires merveilleuses dans un registre et un style plus accessible. Ainsi nait la série des Contes roses, verts etc. Dans les Contes roses de ma mère-grand, les illustrations de Maurice Lalau rajeunissent le genre, sans toutefois égaler les artistes anglais. Florence Anderson pour My Fairyland ou encore Harry Clarke pour les Fairy tales de Hans Christian Andersen, créent avec talent un véritable univers féérique. Alors que les illustrations françaises restent très classiques, les anglaises basculent dans la fantaisie et arborent un style très baroque.
L’arrivée d’artistes russes expatriés et de leur folklore conduit à la publication de nombreux contes russes à l’instar de The Russian Story Book.
Ritournelles, comptines, berceuses, chansons, rondes et danses, nourrissent de leurs rimes et rythmes les tout-petits depuis toujours. Ces formes orales sont une source d’inspiration pour les auteurs, les illustrateurs et les éditeurs. La Grande Bretagne est un pays précurseur dans ce domaine. A book of quaint old rhymes de Franck Adams et A nursery rhymes picture book de Leonard Leslie Brook sont des exemples représentatifs des fameux « nursery rhymes ».
En France à la même époque, les éditeurs publient en masse des livres dédiés à la musique et aux chansons. Dans le dernier quart du 19e siècle, ces livres gagnent en fantaisie. Les deux albums publiés en 1884 par Maurice Boutet de Monvel : Vieilles chansons et rondes pour les enfants et Chansons de France pour les petits français en sont un bon exemple. Ce sont deux œuvres homogènes, modelées par un seul artiste qui leur insuffle sa propre conception d’un livre de chansons. Le défilé des silhouettes, répétant les mêmes gestes stéréotypés, les frises de personnages en ribambelles, évoquent le rythme des ritournelles et des comptines. Le format à l’italienne de ces partitions permettent à ces livres de trouver leur place sur le pupitre d’un piano


La vision anglaise de l’enfance

Dans la littérature anglaise pour enfants, l’enfance y est un espace privilégié, protégé et mis à l’écart du monde des adultes. Les livres mettent en scène des héros qui ne sont ni exemplaires ni comiques, mais simplement des enfants et se révèlent en ce sens plus proches de leurs lecteurs que les livres français.

Héritier d’une tradition initiée par William Blake, dans laquelle la composition, entremêle textes et images, le livre illustré anglais transforme la totalité de la page en un ensemble chargé de sens. Au début du 20e siècle des artistes comme Hilda Cowham dans Black legs and others. intègrent humour et modernité à ce modèle. L’artiste parsème ses illustrations de poupées, de jouets, permettant à l’enfant de retrouver un contexte familier, proche de celui de Chloé Preston.

Les albums comiques illustrés

Souvent de format à l’italienne, ils sont encore au tournant du 20e siècle, une forme très appréciée par les enfants. La sélection présentée ici est publiée par Delagrave. L’éditeur renouvèle le genre en faisant appel à de grands artistes particulièrement imaginatifs. Alfred Robida, illustre ainsi Mon ami Pierrot de Jérôme Doucet et Les deux Cartouche de Montfrileux, Quant à Joseph Pinchon, il apporte sa fantaisie aux Aventures de Fiammiferino, témoignage d’une époque les japonais étaient considérés comme les « bons » et les russes les « méchants ». Ses illustrations reflètent la fascination du monde occidental pour l’Asie au début du 20e siècle. .
Venu des Etats-Unis, un nouveau type de littérature enfantine : la bande dessinée, entre en scène à la même époque pour renouveler le genre des albums comiques. Dix albums de Buster Brown, sont publiés par Hachette à partir de 1902. Cette bande-dessinée de Richard Felton Outcault connait très vite un succès fulgurant. Enfant terrible de la bonne société américaine, le héros, toujours accompagné de son chien, est un petit garçon aux yeux en « boutons de bottines ». Doué d’une ingéniosité sans pareille, il échafaude les plus mauvaises farces et provoque moult catastrophes. Montrant sous un jour nouveau les caprices et les bêtises de l’enfance, Buster Brown est un nouveau type de personnage auquel le petit lecteur peut s’identifier

Les Affiches composées par les enfants de France pour la prévoyance et les économies expliquent par contraste l’engouement des enfants de 1916 pour les bêtises de garnement insouciant.